Changement climatique Plage de M'Zamboro

Météo-France / Philippe Lesquelin

Les projections pour le futur : zoom régional

01/10/2024

L’évolution attendue du climat à Mayotte au cours du XXIe siècle, méthode et résultats.

Passer de l'échelle globale à l'échelle régionale

Les simulations CMIP6, qui examinent l'évolution des paramètres climatiques à l'échelle mondiale, ont une résolution grossière d'environ 150 km, ce qui ne permet pas de représenter adéquatement les petites îles du sud-ouest de l'océan Indien. Cette limitation informatique empêche une description précise des composantes du paysage telles que le relief, crucial pour des îles comme La Réunion, Maurice, les Seychelles, les Comores, Rodrigues, Agaléga et Saint-Brandon. La pluviométrie de ces îles, par exemple, est fortement influencée par le relief et le contraste terre-mer, ce qui entraîne une variabilité spatio-temporelle marquée des précipitations. Pour obtenir des informations climatiques à l'échelle régionale puis locale, on applique des techniques de "descente d’échelle" à partir des simulations CMIP6. Ces techniques, dynamiques et statistiques, permettent de préciser les impacts attendus à l'échelle locale sur des aspects comme les ressources en eau, l'habitat, l'énergie, l'agriculture et l'utilisation des sols. 

Pour la descente d’échelle dynamique, le modèle régional de climat ALADIN a tourné avec un pixel fin de 12 km de résolution sur une grande partie du sud-ouest de l’océan Indien, les informations en bordure étant prescrites par un modèle CMIP6. Le domaine couvre la plupart des territoires habités depuis les côtes du Mozambique (33°E) jusque 74°E ainsi que la zone principale de cyclogenèse tropicale [2°S – 28°S].

Ces descentes d’échelle permettent d’illustrer et de quantifier plus précisément l’impact du réchauffement d’échelle planétaire sur les précipitations et températures de l’île de Mayotte d’ici la fin du siècle, ainsi que l’évolution de l’activité cyclonique dans notre bassin océanique. Par ailleurs, un échantillon de 22 modèles globaux CMIP6 a été utilisé pour quantifier les incertitudes liées à la modélisation numérique sur la zone.

Des températures moyennes plus chaudes

Le graphique ci-dessous montre l’évolution temporelle sur la période 1981-2100 des anomalies de la température moyenne annuelle à + 2 m au-dessus du sol, en moyenne sur l'île de Mayotte. Les anomalies sont en °C par rapport à la période 1981-2010 et sont modélisées pour l’historique 1981-2014 (noir) et pour trois scénarios d’émissions de gaz à effet de serre (couleurs). Les enveloppes de couleur délimitent les valeurs les plus probables (80 %) de la distribution de 22 modèles CMIP6, et les traits pleins les moyennes de ces 22 modèles. La simulation climatique régionale à haute résolution ALADIN est indiquée en pointillés. Les cercles noirs représentent les anomalies (par rapport à 1981-2010) de température moyenne annuelle mesurée à Pamandzi entre 1981 et 2023.

Sur Mayotte, la hausse des températures prévue pour la fin du siècle se situe dans une fourchette comprise entre 1 °C pour le scénario SSP1-2.6 et 4 °C pour le scénario extrême SSP5-8.5, par rapport à la période de référence 1981-2010. À cette incertitude sur le scénario futur s’ajoute une incertitude liée à la modélisation de l’ordre de ± 0,5 °C pour le scénario optimiste à +/-1 °C pour le scénario extrême. Ces estimations se situent dans la fourchette basse du réchauffement planétaire projeté entre + 1 °C et + 4,5 °C pour les mêmes scénarios et la même période de référence. D’ailleurs, le réchauffement sera plus important sur les grandes masses continentales comme le continent africain et Madagascar, que sur les territoires insulaires. 

À noter que c’est durant la saison chaude que la hausse des températures sera la plus élevée. Le nombre de jours de forte chaleur sera en nette augmentation. Sur le littoral de Petite Terre par exemple, la température maximale a dépassé les 32 °C en moyenne 8 jours par an entre 1981 et 2010 et 49 jours par an sur la dernière décennie 2011-2020. En fin de siècle (2071-2100), ce seuil de chaleur pourrait être dépassé 90 jours par an en moyenne dans le scénario optimiste et plus de deux tiers de l’année dans le scénario extrême, avec des fourchettes d’incertitude liée à la modélisation de l’ordre de ± 30 jours.

Des vagues de chaleur plus fréquentes et plus longues

Le graphique ci-dessous illustre l’évolution des vagues de chaleur (telles qu'elles sont définies aujourd'hui) au cours du 21siècle sur Pamandzi dans les deux scénarios extrêmes SSP1-2.6 (en bleu) et SSP5-8.5 (en rouge) pour l’horizon de milieu et fin de siècle. 

Il est important de noter que chaque année ne sera pas systématiquement plus chaude que la précédente. Les fluctuations naturelles continueront en effet d'influencer le climat à court terme. Cependant, sur le long terme les vagues de chaleur augmenteront : 

  • en durée (jusqu’à 275 jours consécutifs),
  • en sévérité,
  • en intensité avec des températures moyennes quotidiennes pouvant atteindre 35 °C sur Pamandzi à leur paroxysme dans le scénario de fortes émissions.

Avec cette méthode de calcul, une vague de chaleur pourrait durer tout l’été en fin de siècle dans le scénario SSP5-8.5. L’augmentation des vagues de chaleur sera moindre en scénario SSP1-2.6, ce qui souligne l'importance de prendre des mesures pour atténuer le changement climatique. Toutefois, l’augmentation des vagues de chaleur sera notable par rapport à la période historique (1985-2014) dans tous les cas et il faudra donc s'adapter à ses impacts. 

Comment identifie-t-on une vague de chaleur ?

La méthode de calcul est la même que celle utilisée en France métropolitaine, mais les seuils retenus sont adaptés à la distribution des températures de la ville considérée. On se base sur des critères définis sur la période 1985-2014. On considère la moyenne de la température minimale et maximale de la journée.

  • Une vague de chaleur est détectée dès lors que la température moyenne dépasse le pic de 29,9 °C (une température rarement observée à Pamandzi dans le passé puisque seulement 0,5 % des températures dépassent cette valeur entre 1985 et 2014 – il s’agit du centile 99,5 de la distribution).
  • On englobe dans l’épisode les journées adjacentes à ce pic pour lesquelles la température moyenne ne reste pas inférieure à 29,3 °C (centile 97,5) plus de 3 jours d’affilée.
  • Un épisode s’arrête dès lors que la température devient inférieure à 28,9 °C (centile 95).

Sur le graphique, chaque épisode est représenté par une bulle. Sa position et sa taille indiquent les caractéristiques de la vague de chaleur :

  • La position horizontale indique la durée (en jours) de l’épisode.
  • La position verticale indique l’intensité de la vague de chaleur : c’est la valeur maximale de température moyenne atteinte durant l’épisode.
  • La taille indique la sévérité de la vague de chaleur, qui est proportionnelle à la chaleur cumulée durant l’épisode.

Des alizés plus vigoureux

Cette fin de siècle sera vraisemblablement marquée par la présence d’un anticyclone plus puissant ou davantage présent au Sud-Est des Mascareignes. Le renforcement des hautes pressions subtropicales devrait induire une anomalie de vents d’Est sur Mayotte en moyenne annuelle, mais avec des variations suivant les saisons.

Anomalies de vent -scénario ssp126. © Météo-France Anomalies de vent -scénario ssp585. © Météo-France

Les cartes ci-dessus montrent l’amplitude de l’augmentation annuelle de la pression de surface (couleurs) et de la vitesse du vent (flèches) selon les deux scénarios extrêmes en moyenne à l’horizon 2071-2100. Le relief de l’île pourra venir modifier ces valeurs moyennes par effet d’accélération ou de décélération.

Une baisse des précipitations régionales en saison sèche à l'horizon 2080

Sur l’année :

précipitations annuelles CMIP6 SSP1-2.6 Sud ouest océan Indien

precipitations annuelles CMIP6 SSP5-8.5 Sud-ouest océan Indien

En moyenne, les modèles globaux CMIP6 ne montrent pas d’évolution significative des pluies annuelles sur Mayotte quel que soit le scénario d’émissions de gaz à effet de serre. Ce signal neutre masque d’importants contrastes saisonniers comme illustré ci-dessous pour le scénario pessimiste.

Au second semestre (juillet à décembre) :

L’impact du changement climatique sur les précipitations en fin de siècle devrait se manifester par :

1 – Une baisse des précipitations de grande échelle sur une vaste zone géographique incluant les latitudes tropicales et subtropicales, en scénario optimiste comme pessimiste (les cercles indiquent un consensus des modèles sur le signe de l’anomalie).

2 – Un allongement de la saison sèche vers le dernier trimestre de l’année, lié à un probable retard de démarrage de la saison des pluies.

précipitations CMIP6 trimestre JAS SSP5-8.5 Sud ouest océan Indien

précipitations CMIP6 trimestre OND SSP5-8.5 Sud ouest océan Indien

Au premier semestre :

Aucun consensus ne se dégage sur Mayotte. On note toutefois que durant le trimestre Janvier-Février-Mars, la zone de convergence Intertropicale, placée juste au Nord de l’archipel des Comores en moyenne sera plus pluvieuse en fin de siècle, et ce quel que soit le scénario d’émissions de gaz à effet de serre. Il est donc possible que Mayotte soit concernée certaines années par un 1er trimestre plus arrosé que dans le passé.

précipitations CMIP6 trimestre JFM SSP5-8.5 Sud ouest océan Indien

précipitations CMIP6 trimestre AMJ SSP5-8.5 Sud ouest océan Indien

 

Et les précipitations futures sur Mayotte ?

Un échantillon de 22 modèles globaux CMIP6 a été utilisé pour quantifier les incertitudes (liées à la modélisation numérique) des précipitations futures autour de la zone de l’Archipel des Comores. La moyenne des 22 modèles est illustrée par une ligne pleine et la dispersion par les panaches ; les valeurs de la modélisation régionale ALADIN sont indiquées en pointillés. Les résultats suggèrent : 

  • l’absence d’évolution significative du cumul de pluies annuel, en moyenne ;
  • une légère augmentation des pluies au 1er trimestre de l’année (JFM, cœur de saison des pluies) mais avec une forte incertitude ;
  • une augmentation des contrastes saisonniers ainsi que de l’amplitude et de la fréquence des phénomènes extrêmes (sécheresse, inondations).

Sur la saison sèche (juin à novembre), il devrait moins pleuvoir en moyenne : 
Les déficits de pluie sur l’île au second semestre de l’année pourraient atteindre 10 à 20 % en scénario optimiste (SSP1-2.6) ou 10 à 35 % en scénario pessimiste (SSP5-8.5) comme illustré ci-dessous.